Association Québécoise de la Goutte de Lait ( 09/04/1915-30/04/1970 )
L’Association Québécoise de la Goutte de Lait, fondée par un groupe de dames patronnesses, sous la direction de Mathilde Barnard (madame Jules Tessier), s’inscrit dans le vaste mouvement de lutte contre la mortalité infantile, véritable fléau à Québec au début du XXe siècle. Les gouttes de lait, d'inspiration européenne (France, Belgique, etc.), forment un réseau d'oeuvres initiées par des femmes laïques, auquel adhèrent des médecins (généralistes et pédiatres) et parfois des religieuses. Dans la ville de Québec, ce réseau de services se constitue essentiellement sur la base des paroisses, alors qu’ailleurs dans la province, notamment dans la ville de Montréal, il existe également un réseau municipal.

Après une première initiative des Sœurs du Bon-Pasteur pour les enfants « illégitimes » hébergés à la Crèche en 1905 (l’Hospice Bethléem puis plus tard la Crèche-Saint-Vincent-de-Paul), les initiatives suivantes, empruntées au modèle montréalais, sont le fait de femmes laïques. L'Association Québécoise de la Goutte de Lait peut compter, de 1915 à 1929, sur les services du premier pédiatre de la ville, le Dr René Fortier, voué à sa cause. Les dirigeantes bénévoles du réseau de Québec conservent leur autonomie et refusent de s'affilier au Conseil central des oeuvres du diocèse jusqu’en 1951. Ces femmes dynamiques n'hésitent pas à intervenir auprès des médecins de l'Oeuvre pour limiter les frais de gestion et s'assurer d'un service régulier. Elles réussissent, à force de ténacité, à obtenir l'appui des curés des paroisses de Québec, qui font la promotion du service, ainsi que des pouvoirs publics des trois paliers de gouvernement. Elles maintiennent le fonctionnement de l'Oeuvre jusqu'à la fin des années 1960 en tenant quantité d'activités de financement (kermesses, bazars, etc.).

Le réseau de Québec compte plus d'une vingtaine de gouttes de lait, pour la plupart des cliniques qui offrent des examens physiques généraux pour les nourrissons (0-2 ans), ainsi que des conseils et des conférences aux mères sur la façon de prendre soin de leur bébé et qui distribuent gratuitement ou à peu de frais du lait « pur » pour les enfants. Des visites à domicile, d'abord assurées par les dirigeantes de l'Oeuvre et à partir de 1924 par des infirmières (une condition exigée pour être reconnue comme institution d'assistance publique), font également partie du service. Comme on peut le constater sur la carte jointe, le réseau des gouttes de lait a d'abord recouvert les zones de pauvreté dans la ville: le quartier Saint-Roch et son extension le long de la rivière Saint-Charles dans Saint-Sauveur et Limoilou, et les quartiers Petit-Champlain et Cap-Blanc qui longent le fleuve Saint-Laurent. Plus de la moitié du réseau est constitué avant la crise économique des années 1930. Des cliniques s'ouvrent ensuite, une fois la crise passée, dans les paroisses nouvellement créées. La Haute-Ville, plus aisée, reste peu desservie, même si l’on souhaitait initialement rejoindre toutes les mères de la ville.

Pour la seule année 1947, les gouttes de lait, présentes dans 14 des 27 paroisses de la ville, ont permis à 20,806 bébés de bénéficier d'une consultation médicale sommaire, la plupart ayant eu lieu dans la paroisse de Saint-Sauveur située dans la Basse-Ville. À l'échelle de la ville, les gouttes ont ainsi rejoint cette année-là 39,7% de tous les bébés (0-2 ans) de Québec. L'efficacité de ce réseau de services pour réduire la mortalité infantile est reconnue par tous les intervenants, dès le début de l'Oeuvre. Au milieu des années 1960, les autorités municipales, pointées du doigt pour l'absence d'une division sanitaire pour les mères et les enfants, vont incorporer les cliniques initiées par des femmes laïques et miser sur le plan de développement qu'elles avaient elles-mêmes proposé, pour moderniser et compléter le réseau initial. Elles assistent en 1970 aux dernières fermetures des services qu'elles avaient réussi à maintenir pendant plus de 50 ans.

(ANQQ, fonds P437,
Société Saint-Vincent-de-Paul; BAN, Rapports annuels de l'Assistance publique du Québec, 1922-1935; Daigle et Gilbert, 2008; Fortier, 1966; Nadeau, 1915-1916; René, 1948)
 
 
Inscriptions et consultations médicales dans les Gouttes de Lait de Québec, 1947
 

Source : Rose-Hélène RENÉ, gme, «L’œuvre de la Goutte de Lait à Québec en 1947», mémoire de maîtrise en service social, Québec, Université Laval, 1948, p.36-39.